Aujourd'hui : "Gare au gorille !"

1859. Lors du Salon, une prestigieuse exposition parisienne, des visiteurs se pressent autour d’un rideau. Tous veulent jeter un œil derrière pour apercevoir la sculpture de l’artiste Emmanuel Frémiet. Pourquoi est-elle ainsi cachée ?

Parce que son sujet est jugé tout à fait scandaleux ! On y voit un gorille traîner une jeune femme inconsciente.

La statue trouble, émoustille, choque… À l’époque, le gorille est perçu comme une version bestiale de l’homme et symbolise tout ce qui est "non civilisé", selon les critères occidentaux du XIXe siècle.

Un critique amusé résume la situation : "Le gorille emporte dans les bois une petite dame pour la manger. M. Frémiet n’ayant pu dire à quelle sauce, le jury choisit ce prétexte pour refuser cette œuvre intéressante."

Grâce à un soutien influent, la sculpture est tout de même présentée, derrière un rideau. Mais la statue ne survit pas longtemps au scandale, et est détruite peu après…

Presque trente ans plus tard, Frémiet récidive. Il expose au Salon une autre œuvre au sujet identique. On retrouve le gorille imposant, sculpté avec un grand réalisme anatomique. La fragile demoiselle en détresse n’est plus inconsciente et se débat vainement.

La sculpture remporte cette fois un franc succès ! Le public de l’époque s’enthousiasme pour la férocité supposée de l’animal, un cliché très éloigné de son véritable comportement.

Frémiet, récompensé par une médaille, est pourtant déçu. Il souhaitait voir sa sculpture installée au Muséum d’Histoire naturelle de Paris, mais l’État refuse.

La reconnaissance vient d’un collectionneur américain qui, fasciné par l’œuvre, en finance une version en bronze.

Elle devient très populaire aux États-Unis et propage le stéréotype du grand singe bestial et lubrique… qui inspirera les créateurs du célèbre King Kong !

Pour en savoir plus :

King Kong, Phileas Fogg, Robinson Crusoé et Vendredi… La culture populaire occidentale et la littérature jeunesse sont pleines de stéréotypes sur les sociétés d’ailleurs.

Comment ces clichés ont-ils évolué depuis le XIXe siècle ? C'est le sujet passionnant et nécessaire de l’exposition "Le magasin des petits explorateurs", à voir jusqu’au 7 octobre au musée du quai Branly - Jacques Chirac.

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