Où l’on découvre une bande dessinée qui a du mordant.
Le palais Bourbon à Paris pendant l'Occupation allemande, 1940-1944, Archives fédérales allemandes
Années 1940.En pleine Occupation, un garçon de treize ans traverse Paris pour se rendre chez le dessinateur EdmondCalvo. Coursier pour des journaux, il doit récupérer au plus vite les planches commandées à l’artiste qui, comme à son habitude, n’a pas encore terminé.
Mais le malheur de la presse fait la joie du jeune livreur ! L’artiste l’autorise en effet à le regarder finir son travail...
Sous ses yeux, Calvo croque l’actualité avec humour. Sa signature ? Transformer les hommes en animaux pour en faire des caricatures pleines de mordant. Et s’il manque parfois de temps, c’est qu’il s’est lancé en secret, avec le scénariste Victor Dancette, dans un autre projet ambitieux : raconter en bande dessinée la Seconde Guerre mondiale aux enfants.
C’est toute l’idée de l’album, La Bête est morte!, qui transforme cette période sombre en fable animalière où les nazis sont tournés en ridicule. La couverture annonce d’ailleurs la couleur: Hitler apparaît sous les traits d’un loup dépenaillé, la mèche en bataille et les vêtements en haillons. Loin du dictateur redouté, il n’est plus qu’une bête vaincue, symbole de l’effondrement de son idéologie.
À l’intérieur, les Français prennent l’apparence de lapins ou d’écureuils, les Américains de bisons et les Soviétiques d’ours blancs… Sous des airs de conte illustré, Calvo parvient à dénoncer la barbarie, illustrée par la férocité des loups, tout en rendant son message accessible. Ce stratagème lui permet d'évoquer les atrocités de cette guerre, comme les fusillades de résistants et la déportation des Juifs lors de la Shoah.
C’est d’ailleurs la même méthode qu’utilisera bien plus tard Art Spiegelman dans sa bande dessinée culte, Maus.
La Bête est morte ! est finalement publiée en deux volumes entre la Libération et 1945 : le succès est énorme et fait entrer Calvo dans la légende. Quant au jeune coursier, ces moments auprès du dessinateur l’ont profondément marqué. En effet, il s’agit d’un certain Albert Uderzo qui, des années plus tard, deviendra un des deux papas du célèbre Astérix !
Albert Uderzo dessinant Astérix en 1971 au Bijenkorf, Amsterdam
"L’histoire n’est pas dans les mots, elle est dans la lutte." Paul Auster
Au loup ! 🐺
Envie de découvrir ce chef-d’œuvre de la bande dessinée ? Aujourd’hui, La Bête est morte ! est conservée avec soin par la Bibliothèque nationale de France. Après un appel au don, la BnF s’est en effet procuré les 77 planches originales de Calvo qu’elle expose pour la toute première fois dans la Rotonde du site Richelieu jusqu’au 1er février.
Et au passage, ne manquez pas de parcourir l’exceptionnel (et trop méconnu) musée de la BnF. 150 œuvres autour du thème "L’Europe en partage" viennent justement d’y être dévoilées ! Et si vous avez besoin d’une petite pause ? Rendez-vous dans l’incroyable salle ovale pour découvrir toutes les bandes dessinées de la bibliothèque en libre accès.