Où l’on découvre comment un jeune homme est passé sous le scalpel.
2018, Amsterdam. Au Rijksmuseum, des historiens de l'art parcourent un ouvrage rempli de poèmes, dessins et aquarelles. Il s’agit du travail de Gesina ter Borch, une artiste peintre qui a collectionné ici ses œuvres, ainsi que celles de ses proches. Les chercheurs sont comblés : l’album offre en effet un témoignage touchant de la vie d’une famille néerlandaise du 17e siècle.
Mais ils ne sont pas au bout de leurs surprises! Entre deux pages, ils découvrent une curieuse peinture d’un jeune homme iranien collée dans l’album… Pas de doute, son style gracieux correspond à l’école d’Ispahan (dans l'actuel Iran). Pourtant, certains détails clochent: le fond noir est incongru et la posture de l’homme paraît un peu rigide.
Pour les conservateurs du musée, il s’agirait plutôt d’une copie européenne d’une peinture illustrant un livre iranien (une miniature). Ont-ils vraiment percé son secret ?
Miniature de l'album de Gesina ter Borch, 1660-1687, encre et gouache sur papier, 24,3 x 36 cm, Rijksmuseum, Amsterdam
Ils mènent l’enquête et passent l’image au crible de technologies de pointe... qui leur donnent tort ! L’analyse du plomb, qui permet de déterminer l’origine du pigment, suggère plutôt une provenance extra-européenne.
Prélèvement d’un micro-échantillon d'un tableau. Photo : Cabinet G. Perrault, DR
Gesina ter Borch, Autoportrait, 1661, aquarelle et encre sur papier, 24,3 x 36 cm, Rijksmuseum, Amsterdam
De plus, grâce à la macro-spectrométrie par fluorescence X (qui identifie les éléments chimiques présents), les conservateurs découvrent que la miniature a été retouchée à plusieurs endroits par Gesina ter Borch.
C’est donc elle qui a recouvert d'une couche de peinture noire le fond sans doute coloré à l’origine.
Elle a également corrigé certains détails du visage et de la ceinture là où l'œuvre était abîmée.
Voilà donc le mystère élucidé : Gesina ter Borch aurait obtenu une miniature iranienne authentique très à la mode à la cour des rois Safavides. Mais puisqu’elle était en mauvais état, l’artiste l’a rafistolée avant de la coller sur la page!
C’est ainsi que le jeune homme s’est retrouvé au sein de l’album de l’artiste, en compagnie de personnages tirés de la Bible ou de la vie quotidienne de Gesina. Cette miniature iranienne serait donc l’une des premières parvenues aux Pays-Bas…
Comme quoi, les vieux ouvrages peuvent encore cacher de nombreux secrets !
Exemple de miniature iranienne : anonyme, Jeune et mendiant assis, avant 1621, peinture, 35,7 x 22 cm, Rijksmuseum, Amsterdam
"Comme il est radieux, comme il est splendide, ce livre plein de pièces singulières !" H. Fisscher (extrait de l’album de Gesina ter Borch)