Le diable se cache dans les détails

Où l'on sème des indices dans un tableau.

Londres, années 1740. Daniel Graham, l’apothicaire du roi, passe commande à William Hogarth, l’un des plus célèbres peintres du temps. Il souhaite que l’on tire le portrait grandeur nature de ses quatre enfants chéris. Hogarth accepte volontiers cette mission : sur sa toile, les petits Graham semblent s’amuser. L’une des filles esquisse un pas de danse, alors que son frère joue de la musique. Mais cette scène charmante et légère cache un secret...

William Hogarth, Les enfants Graham, 1742, huile sur toile, 160 x 181 cm, National Gallery, Londres

Pour le comprendre, il faut observer les détails de plus près. D’un côté, un chat, accroché au dossier d’un fauteuil, se pourlèche les babines devant un pauvre chardonneret en cage. Ce prédateur vient nous rappeler que l’existence est fragile. De l’autre côté, un jeune garçon, assis sur une chaise roulante décorée d’un oiseau en plein envol, tend la main vers les cerises que tient sa sœur, en vain, comme si les plaisirs de la vie lui étaient interdits...

Détail de l'œuvre

Détails de l'œuvre

Pire encore, derrière lui, une horloge est surmontée d’un angelot qui tient une faux. C’est bien la Mort elle-même, qui joue les trouble-fêtes en s’introduisant dans le tableau !

William Hogarth, Étude de Thomas Graham, vers 1742, fusain noir et rouge sur papier, 22 x 27 cm, British Museum, Londres

En effet, au moment où Hogarth entame son tableau, le petit dernier de la famille, Thomas, vient de mourir. Le peintre fait alors face à un dilemme : doit-il tout de même le portraiturer ? Il décide de garder l’enfant au sein de la fratrie mais il change le sujet de son œuvre. Celle-ci devient alors un hommage au bambin disparu trop tôt grâce à ces indices dissimulés dans la composition. Inconscients du drame, les autres enfants semblent nous enjoindre à profiter de l’existence tant qu’il est encore temps !

L’œuvre, à la fois joyeuse et émouvante, a été chère au cœur des Graham. Elle restera d’ailleurs en possession du fils musicien qui ne s’en séparera pas jusqu’à sa propre mort, à l’âge de 80 ans !