Où l’on découvre une photo de vacances qui fait des vagues.
24août 1919, Berlin. Comme bien souvent, Hannah Höch feuillette les revues illustrées.
Mais ce jour-là, elle s’arrête sur la couverture du Berliner Illustrirte Zeitung: on y voit le président de la République de Weimar, Friedrich Ebert, et son Ministre de la Défense poser en short de bain, les pieds dans l’eau de la mer Baltique…
La photographie surprend l’artiste comme le reste des Allemands : à l’époque, on n’a pas l’habitude d’avoir une telle familiarité avec les dirigeants, généralement représentés en habits officiels.
Surtout, cette image heureuse de vacances contraste avec la violence de l’actualité.
Ebert et Noske en première page du Berliner Illustrirte Zeitung, août 1919
Alfred Grohs, Combats de barricades à Berlin (détail), janvier 1919, Bundesarchiv, Coblence
À la fin de la Première Guerre mondiale, l’Allemagne a connu une révolution au terme de laquelle la République de Weimar s’est imposée dans le sang.
Les Berlinois se souviennent qu’à peine quelques mois plus tôt, Ebert et Noske ont fait assassiner les leaders communistes... Et voilà qu’ils posent, insouciants, en maillot de bain !
Pour Hannah Höch, il n’est pas question de laisser passer cette image. Elle vient alors de rejoindre le Club Dada, un groupe de créateurs qui veulent lutter contre l’esprit conservateur de cette République en faisant table rase des conventions.
Justement, Höch contribue depuis quelque temps à l'invention d'une technique artistique qui rompt avec les traditions : elle découpe des photos dans les magazines pour en faire des collages moqueurs.
Détourés et affublés d’une fleur au maillot, le président et son ministre rejoignent ainsi l’un de ses photomontages.
Et bien sûr, les images et les fragments de texte qui composent l’œuvre ne sont pas choisis au hasard.
Les pieds du président sont par exemple chaussés de bottes et entourés d’un slogan publicitaire pour une poudre "contre les pieds humides" ! Une manière de lui rappeler que malgré ses efforts, tout le monde sait dans quelles affaires il trempe…
"L’ennui avec nos hommes politiques, c’est qu’on croit faire leur caricature, alors qu’on fait leur portrait". Sennep