Fin du 17e siècle. Depuis plusieurs heures, une femme accouche difficilement. Autour d’elle, on s’inquiète… Sa santé et celle de son enfant sont en danger. Que faire ? Heureusement, un recours existe : on prend une statuette en argile de la Vierge, que l’on gratte avec un couteau au-dessus d’un verre d’eau.
Il ne reste plus à la femme souffrante qu’à boire la mixture obtenue. Quel est donc cet étrange remède ?
La petite figure de Vierge qui a été raclée est particulière : elle vient de l’abbaye d’Einsiedeln en Suisse, où les pèlerins affluent. Dans leurs bagages, ils rapportent des Schabmadonna, c’est-à-dire des madones à gratter !
Abbaye d'Einsiedeln, Suisse. Photo : Markus Bernet, CC BY 2.5
Vierge de pèlerinage, terre cuite d'Einsiedeln, 18e siècle. Photo : Antiquités Bastian, DR
Entre les 17e et 19e siècles, les Schabmadonna sont monnaie courante dans certaines régions d’Europe. Mais attention, elles doivent répondre à certains critères !
Ces statuettes, produites en série à partir d’un moule, sont toujours fabriquées à partir d’une substance sacralisée – de l’argile ayant touché une statue d’un saint ou de la terre contenant des reliques.
D’ailleurs, l’iconophagie, c’est-à-dire le fait d’ingérer des images portant une symbolique particulière, ne date pas d’hier comme le remarque l’historien de l’art Jérémie Koering.
Ce chercheur a remonté le temps pour étudier cette pratique et identifié des textes qui en témoignent dès l’Égypte antique ! À l’époque, le magicien Nofrekôptah donne la recette de la sagesse à sa sœur : il suffit d’écrire des mots d’un livre sacré sur un papyrus, de le dissoudre dans de la bière avant de boire le liquide obtenu.
Papyrus d'Héraclès, 3e siècle de notre ère, université d'Oxford
En Europe moderne, les exemples sont multiples. On fait couler un peu d’eau sur une statue avant de la boire, ou l’on imprime des estampes de saints que l’on mélange à de la nourriture… Et aujourd’hui, si l’on ne s’attend plus à guérir ou à devenir ainsi plus savant, la pratique de l’iconophagie fait toujours partie de notre vie. Un petit bonhomme en pain d’épices, ça vous tente ?
"Prenez et mangez ceci, c'est mon corps." Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu
En savoir plus
Lettrine avec Ezéchiel mangeant le Livre, 1150-1200, Bible latine, Bibliothèque nationale de France, Paris