Tsukioka Yoshitoshi, Expédition en Corée. La légendaire impératrice Jingu, 1880, estampe issue du livre Histoire illustrée du Grand Japon, Waseda University Theatre Museum, Tokyo
1880. L’artiste Tsukioka Yoshitoshi achève un livre représentant des épisodes illustres de l’histoire du Japon. D’une page à l’autre, on rencontre des souverains célèbres, de vaillants guerriers ou encore l'impératrice Jingu envahissant la Corée. C’est elle, la femme brandissant un arc au centre de l’œuvre.
À sa gauche, trois personnages symboliseraient les trois royaumes coréens de l'époque, vaincus. Pourtant, il y a un hic : Jingu aurait gouverné au 3e siècle, alors qu’il n'y a pas eu d'invasion de la Corée par le Japon avant... la fin du 16e siècle !
Il faut dire que la vie de cette impératrice appartient à la légende plutôt qu’à l’histoire. Cela ne l’empêche pas d’être souvent figurée, à travers des statues, des poupées ou, comme ici, sur des estampes. Ces images dessinées et gravées dans du bois sont ensuite tirées sur papier, parfois en de très nombreux exemplaires.
Katsushika Hokusai, La légendaire impératrice Jingu (détail), 1847, encre sur soie, 80 x 32 cm, Metropolitan Museum of Arts, New York
Impératrice Jingu représentée en déesse, vers 1326, sculpture sur bois, sanctuaire Aka-Ana Hachimangu, préfecture de Shimane, Japon
Or, si l’artiste Yoshitoshi diffuse à son tour le mythe de Jingu dans son livre en 1880, ce n’est pas par hasard.
D’abord, ce personnage est l'archétype de la femme guerrière, l'onna-bugeisha, c’est-à-dire littéralement une "femme maîtresse des arts martiaux". Cette fois, il ne s’agit pas d’une légende ! Dans le Japon médiéval, certaines femmes de la haute société étaient formées au combat et prenaient parfois les armes. Mais une deuxième raison, plus politique, explique aussi le choix de Yoshitoshi…
Deux onna-bugeisha, fin du 19e siècle
En effet, durant l'ère Meiji, période à laquelle l’artiste réalise son œuvre, le nationalisme japonais est en plein essor. Jingu, en tant que redoutable guerrière, est alors une figure propre à exalter les foules, un peu comme notre Jeanne d'Arc. L’État émet par exemple un billet sur lequel elle figure – dans une version modernisée. Au siècle suivant, son visage orne même plusieurs séries de timbres. Qu’elle ait existé ou non n’y change rien : Jingu ne sera pas oubliée de sitôt !
Billet de 1 yen représentant l'impératrice Jingu, 1881
"Pour être vivante, une légende doit servir." Louis Lefebvre
En savoir plus
Tsukioka Yoshitoshi, L'impératrice Jingu et Takenouchi no Sukune pêchant à Chikuzen (détail), vers 1876, estampe sur bois, 32 x 23 cm, Los Angeles County Museum of Art
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