1966. Fraîchement sorti des presses de l’imprimeur, un livre illustré par le peintre catalan Joan Miró attire l’œil des lecteurs, avec ses petits bonshommes colorés. Mais il ne faut pas se fier à leur aspect bariolé : l’histoire que racontent ces saynètes au trait enfantin n’a pas de quoi faire sourire…
Le peintre a en effet créé une série d’illustrations pour accompagner le texte d’Ubu Roi, une pièce de théâtre du dramaturge français Alfred Jarry.
Or le roi qui donne son nom au titre, est un personnage cupide, violent et très maladroit ! Et ce n’est pas un hasard si Miró s’intéresse au grotesque personnage inventé par Jarry.
Parce qu’il est assoiffé de pouvoir et prêt à tout pour s’enrichir, Ubu devient lacible favorite des artistes surréalistes, qui souhaitent dénoncer les dictatures du vingtième siècle. Si ce tyran inspire autant Miró, c’est que l’artiste le rapproche tout particulièrement du général Franco, dictateur qui demeure au pouvoir en Espagne près de quarante ans.
L’artiste explique ainsi : "C’est la raison pour laquelle Ubu m’a fasciné durant les années du franquisme, et c’est la raison pour laquelle je l’ai dessiné si souvent". En adoptant un style pictural radicalement décalé pour représenter Ubu, ce despote ridicule, Miró nous met sous les yeux l’aberration de la dictature et de ses excès.
Franco en 1969. Photo : Archives nationales des Pays-Bas
Le personnage obnubile tellement Miró qu’il décide d’imaginer pour lui d’autres aventures, publiant ensuite Ubu aux Baléares, puis L’Enfance d’Ubu. Le peintre, qui écrit pour l’occasion, décrit notamment un "vieux général", avec "les oreilles épinglées sur les fesses", dont on peut penser qu’il est inspiré d’un certain homme d’État espagnol…
Finalement, les artistes nous rappellent que la dérision n’est pas dérisoire !