William Morris, 1884, Victoria and Albert Museum, Londres. Photo : Frederick Hollyer
Londres, années 1870. L’artiste et artisan William Morris se rend à l’opéra, inquiet : va-t-on le laisser entrer avec des mains dans un tel état ? Celles-ci sont d’un bleu vif…
En effet, depuis quelque temps, Morris s’intéresse aux teintures naturelles, en particulier à l’indigo. L’Anglais est farouchement opposé à l’industrialisation galopante de son pays et très critique envers les teintures synthétiques qui ont conquis le marché. Leur mauvaise tenue dans le temps l’exaspère à tel point qu’il l’affirme que "la décoloration des nouvelles teintures se transforme en toutes sortes de teintes abominables et livides" !
À gauche : coton délavé teint à la mauvéine vers 1860, Science Museum, Londres À droite : « Il est facile de teindre avec les Teintures Diamond », panneau publicitaire de la fin du 19e siècle pour l'entreprise de teintures synthétiques Diamond Dyes, 42 x 53 cm, Science History Institute, Philadelphie
Dessin d'indigotier (Indigofera tinctoria) issu de Fleurs des Philippines de Francisco Manuel Blanco, vers 1880
À rebours de son époque, cet artiste touche-à-tout – poète, dessinateur, designer, architecte – souhaite réhabiliter les techniques du passé. Mais réaliser des teintures naturelles, c’est-à-dire végétales, ne s’apprend pas en un tournemain… Morris lit les manuels de teinturiers des siècles précédents, interroge de vieux artisans sur les pratiques traditionnelles et expérimente sans relâche avec l’aide d’un teinturier.
Essai après essai, l’artiste ajuste les paramètres pour obtenir le résultat qu’il recherche. Il est si entêté qu’il craint que ses collaborateurs ne perdent patience, et écrit à une amie : "Peut-être qu'ils me renverront demain ou me mettront dans la cuve de bleu".
Ce travailleur acharné parvient finalement à maîtriser "l’impression par bleu de réserve", qui implique de nombreuses étapes. D’abord, le tissu est immergé dans la cuve d’indigo. Lorsqu’on le sort, il réagit à l’oxygène et prend la couleur bleu-violet caractéristique de l’indigo. Un produit de blanchiment est ensuite appliqué pour décolorer certaines parties, créant des réserves blanches sur le fond bleu. Reste enfin à appliquer chacune des autres teintes voulues sur ces zones décolorées.
Cliquez sur l'image pour découvrir la vidéo (en chinois, sous-titres en anglais) Atelier d'un teinturier pratiquant l'impression par bleu de réserve en Chine, 2020
William Morris, Strawberry Thief (Voleur de fraises), 1883, tissu d'ameublement fabriqué par Morris & Co., Victoria and Albert Museum, Londres
Devenu expert, William Morris crée avec cette méthode certains de ses motifs de textiles d’ameublement les plus appréciés. Qu’on l’ait ou non laissé entrer à l’opéra ce soir de 1870, cela valait la peine qu'il se salisse les mains !
"Outre le désir de produire de belles choses, la principale passion de ma vie a été et reste la haine de la civilisation moderne." William Morris
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William Morris, Cray, 1884, tissu d'ameublement, Victoria and Albert Museum, Londres