Où l’on rencontre une femme qui s’est taillé une place dans un monde d’hommes.
1525, Bologne. S’imposer dans le monde très masculin de la sculpture ? L’artiste Properzia de Rossi en rêve ! Cette année, c’est décidé: elle veut participer aux travaux sur la basilique de San Petronio. Mais comment convaincre de sa légitimité?
Eh oui, la sculpture est un art qui demande des efforts physiques. Or, la société de l'époque juge les femmes trop "délicates" pour pouvoir la pratiquer, au contraire d'arts dits "d'agrément" comme la peinture… Rossi doit donc faire ses preuves. Pour cela, elle réalise le buste d’un comte. Et le résultat est plutôt à la hauteur: devant son talent indéniable, il n’est pas question de se passer de ses services.
Il faut dire que la jeune artiste a déjà de l'expérience. On raconte qu'elle a fait ses débuts en sculptant des scènes religieuses miniatures sur des noyaux de pêche, d’abricot… et même de cerise !
Nicolas de Larmessin, Portrait de Properzia de Rossi, 1682, gravure sur cuivre, dans Académie des Sciences et des Arts, Isaac Bullart
Façade de la basilique de San Petronio. Photo : DR
Properzia de Rossi, Joseph et la femme de Putiphar, 1525, marbre, Musée de San Petronio, Bologne, Italie
Pour orner les portes de la façade de l’édifice, Rossi choisit de représenter une scène de la Bible.
Cet épisode raconte la vie de Joseph, un esclave de l'Ancien Testament, dont s’éprend l’épouse de son maître. Cette femme tente tout pour séduire Joseph, en vain. C’est elle que l’on voit sur le bas-relief de marbre, essayant de retenir le jeune homme qui lui échappe.
L’artiste avait-elle une raison de réaliser cette scène ?
Selon le peintre Vasari, qui a écrit une série de Vies d'artistes, la sculptrice aurait vécu une situation similaire. Il raconte qu’elle se serait éprise d’un homme, qui n’aurait pas donné suite à ses avances, pour en épouser une autre. À en croire Vasari, le désespoir que dégage la femme de Putiphar dans ce récit religieux serait donc un peu le sien… Mais ce sujet biblique est aussi traité fréquemment par d'autres artistes masculins!
Finalement, qu’importe son vécu : Properzia de Rossi est avant tout une grande sculptrice. Son génie est d’ailleurs reconnu par les gens du milieu comme Vasari.
Cette œuvre, l'une des rares qui nous restent d'elle, est donc une véritable revanche... Sur son amour déçu, peut-être, mais sur le sexisme de la société, assurément!
Lionello Spada, Joseph et la femme de Putiphar, vers 1615-1620, huile sur toile, 194 x 144 cm, Palais des Beaux-Arts de Lille
"Si vous voulez la liberté, prenez-la, n’attendez pas qu’on vous la donne." Bernadette Lafont