Où l’on rencontre un prince qui a le cœur sur la main.
L’église Saint-Étienne de Bar-le-Duc, en Lorraine, abrite une effrayante sculpture. Il y a de quoi frémir en tombant nez à nez avec cette grande figure squelettique : avec son mètre quatre-vingts et sa peau en lambeaux, ce cadavre semble tout droit sorti d’un film d’horreur…
Cette statue est en réalité très ancienne. Son auteur, le sculpteur lorrain Ligier Richier, l’a créée en 1547. Et si elle a tout pour nous faire dresser les cheveux sur la tête, elle s’inscrit dans une tradition artistique bien spécifique.
En effet, au 16e siècle, la mode est aux "transis" : ces statues, qui décorent les tombeaux des puissants, représentent le défunt de manière réaliste et décharnée. Mais la sculpture de Ligier Richier sort vraiment du lot...
Ligier Richier, Transi de René de Chalon, 1547, pierre, 177 cm, Église Saint-Étienne, Bar-le-Duc. Photo : Weglinde
Jacques Du Brœucq, L'homme à moulons, 16e siècle, pierre, Boussu, Belgique. Photo : Jean-Pol Grandmont
Il faut dire qu’en règle générale, les transis sont représentés couchés. Celui-ci, au contraire, se tient debout et semblerait presque vivant malgré son corps en décomposition. D’un bras tendu vers le ciel, il brandit fièrement... son propre cœur !
Mais qui se cache derrière ces traits cadavériques ? Il s’agit de René de Chalon, un prince qui périt à l’âge de 25 ans au cours d’un siège. Selon la légende populaire, les dernières volontés du jeune homme auraient été qu’on élève une statue funéraire le représentant "comme il serait trois ans après son trépas".
Jan van Scorel, Portrait de René de Chalon, 16e siècle, huile sur bois, 15 cm de diamètre, Rijksmuseum, Amsterdam
Jan van Scorel, Portrait d'Anne de Lorraine, épouse de René de Chalon, 16e siècle, huile sur bois, 14 cm de diamètre, Rijksmuseum, Amsterdam
Son épouse, inconsolable, aurait alors fait appel à Richier afin d’exaucer l’ultime souhait de son défunt mari.
D’ailleurs, pour l’écrivain Louis Bertrand, le cœur encore palpitant dans la main du transi symboliserait avant tout l’amour de René de Chalon pour son épouse, un sentiment qui perdurerait au-delà même de la mort…
Une belle preuve d’amour post mortem, en somme !
"Ce pourri est un gentilhomme élégant et svelte qui reste aimable sous les chairs en lambeaux."
Louis Bertrand