Où l’on découvre une mode qui fait voir la vie en rose.
Boccace, Allégorie de la Fortune dans Des cas des nobles femmes, vers 1410, ms fr. 190/2, folio 30 verso, Bibliothèque municipale de Genève
Fin du 14e siècle. Le richissime duc Jean de Berry lance une nouvelle mode à la cour de France: les vêtements roses. Plus facile à dire qu’à faire…
En effet, si cette teinte est facile à fabriquer, elle ne tient pas longtemps sur le tissu, au point d'être devenue le symbole de l’inconstance et du hasard. Autant dire qu’elle n’est pas très appréciée !
Seulement voilà, à la fin du Moyen Âge, destissus orientaux au rose chatoyant parviennent en Italie, puis jusqu’au reste de l’Europe. Désormais, cette couleur devient jeune et moderne. À l’image du duc, toute l’aristocratie la réclame !
À charge pour les teinturiers de développer denouvelles techniques pour obtenir des roses résistants. Grâce aux conseils de collègues arabes et persans, ils privilégient l’usage du bois de brésil, qui vient à l’époque d’Inde et de Sumatra. Pour élaborer une couleur durable, ils mélangent le bois réduit en poudre à du tartre ou de l’alun qui servent de "mordant", c’est-à-dire de substance permettant à la teinture de mieux imprégner l’étoffe.
Anonyme, Precetti dell’Arte della Seta, vers 1450, Codex 2580, folio 27, Biblioteca Medicea Laurenziana, Florence
Et c’est une réussite : de jolis roses clairs apparaissent dans les vestiaires des aristocrates.
Non content de mener les tendances, Jean de Berry est aussi un grand mécène d’artistes. Comme d’autres seigneurs de l’époque, il encourage ses peintres à intégrer le rose dans leurs enluminures.
Les artistes emboîtent donc le pas aux teinturiers et transforment le bois de brésil en pigment.
Bientôt, les personnages bibliques des manuscrits, dont Dieu lui-même, s’habillent à la mode et se parent de différentes nuances de rose !
Ainsi cette couleur intègre les habits des élégants, la peinture, mais aussi les arts précieux et la tapisserie, avant que la vogue ne s’éteigne quelques décennies plus tard... La preuve que les modes médiévales étaient (presque) aussi changeantes que les nôtres!
Stefano di Giovanni dit Sassetta, Le Voyage des Rois mages, vers 1433-1435. New York, The Metropolitan Museum of Art
Tenture de l’Apocalypse, vers 1373-1382, musée de la Tapisserie, Château d'Angers
"C’est en croyant aux roses qu’on les fait éclore." Anatole France
En savoir plus
Michel Pastoureau, Rose, histoire d’une couleur, éditions du Seuil
Le rose de Jean de Berry, celui de Barbie, de Rothko ou encore des maillots des joueurs de rugby... Dans Rose, histoire d’une couleur, l’historien Michel Pastoureau nous raconte la longue histoire d’une teinte peu visible dans l’Antiquité, très appréciée à la fin du Moyen Âge, devenue romantique au 18e siècle, avant d’être souvent associée au mauvais goût et à la vulgarité.
De quoi mieux comprendre les multiples usages et symboles d’une couleur autant vénérée que détestée ! Promis, cette lecture vous fera voir la vie en rose (bonbon ou saumon, selon votre choix)...