Années 1990, Vienne. Dans sa cuisine, comme tous les jours, Ceija Stojka sort ses pinceaux. Pour la vieille dame rom, la peinture n’est pas une affaire légère : dans ses tableaux, les tournesols et les roulottes alternent avec des sujets plus inquiétants, comme des barbelés, des trains et des militaires en uniforme...
En effet, à l’âge de dix ans, Stojka est déportée avec une partie de sa famille dans des camps de concentration.
Portrait de Ceija Stojka, vers 1990-2000. Photo : Navigator Film, DR
Les Roms (terme que cette communauté préfère à celui, péjoratif, de Tsiganes) font alors partie des populations mises à mort par les nazis. Si la jeune fille survit à la déportation, elle entre ensuite dans un très long silence de quarante ans. Chez les Roms, pas question de parler d’un drame qui a décimé 90 % de la communauté en Autriche…
Mais en 1988, encouragée par une documentariste, Stojka décide de se lancer : elle se met à peindre et écrire sur son passé. Jusqu’à sa mort en 2013, elle produit sans relâche de nombreux poèmes et plus de mille œuvres graphiques.
Ses peintures alternent entre souvenirs joyeux d’enfance, où dominent les fleurs, et expérience des camps, dans une palette plus sombre. Utilisant tour à tour de la toile, du carton ou du papier sur lesquels elle peint parfois directement avec les doigts, elle représente des scènes foisonnantes dans un style dynamique très personnel. Rattachée au courant de l’art brut, Stojka est en effet autodidacte, et crée loin du monde de l’art, selon sa propre esthétique.
Peu à peu médiatisées, les œuvres de Ceija Stojka bouleversent la société autrichienne qui commence à l’époque à prendre la mesure du génocide rom, longtemps ignoré.
La reconnaissance de l’artiste devient internationale : depuis son décès, pas moins de dix-sept expositions ont été consacrées à son travail. Plus question de passer son nom sous silence !