Où l’on découvre une comtesse qui invente un genre artistique.
Pierre-Louis Pierson, La Comtesse de Castiglione, Marquise-Réveil, 1861-1867, épreuve argentique, 9,5 x 7,3 cm, Keitelman Gallery, Bruxelles
Paris, 1856. Une jeune femme de 19 ans pose pour la première fois devant l'objectif du photographe Pierre-Louis Pierson. Elle inaugure ainsi une collaboration artistique qui durera 40 ans. Mais s’agit-il vraiment d’une collaboration ? En dépit de son âge, le modèle n’est pas du genre à se laisser dicter quoi que ce soit…
Car la comtesse de Castiglione est alors l’une des figures les plus en vue de Paris. Maîtresse de l’empereur Napoléon III, elle l’incite à soutenir l’unification de l’Italie, son pays d’origine, puis plaide 15 ans plus tard auprès du chancelier Bismarck pour adoucir le sort de la France lors de la défaite de 1870.
Mais revenons à nos photos… À partir de 1856, la comtesse de Castiglione se lance donc dans une série photographique qui comportera près de 500 portraits d’elle.
Pierre-Louis Pierson, Scherzo di Follia (La plaisanterie de la folie), vers 1865, épreuve sur papier albuminé, 12,5 x 18,7 cm, Metropolitan Museum of Art, New York
Et si Pierson appuie à chaque fois sur le déclencheur, ces œuvres sont néanmoins considérées comme des autoportraits de la Castiglione, car le photographe n’était qu’un opérateur qui obéissait aux indications données par son modèle.
À gauche : Pierre-Louis Pierson, L'Assassinat ou Judith, 1861-1867, Musée Unterlinden, Colmar. À droite : Pierre-Louis Pierson, Portrait de la comtesse de Castiglione, assise sur une table, le visage en partie coupé,
1863, épreuve argentique, Musée d'Orsay, Paris
Pierre-Louis Pierson (photographie) et Aquilin Schad (peinture), La Sultane, photographie d’époque agrandie et peinte à la gouache, 45,3 x 29,7 cm, collection privée
Pour chaque séance, la comtesse vient en effet avec ses propres tenues, choisit ses accessoires, décide de la pose, de l’angle de vue… sans prendre l’avis de Pierson ! Elle ose d’ailleurs ce qu’aucun photographe de l’époque n’aurait jamais pu lui demander : dévoiler ses jambes nues sous l'objectif.
Si elle peut se le permettre, c'est parce que l’essentiel de ces images reste caché. Alors, dans cette intimité, la Castiglione laisse sa créativité se libérer. Par des mises en scène complexes, elle raconte des histoires. Puis elle note ses indications au dos de l’épreuve pour qu’un peintre transforme la photographie en un tableau coloré.
Dans la dernière année de sa vie, en 1899, elle cherche à exposer ses photographies sous le titre La plus belle femme du siècle. Aujourd’hui, c’est plutôt à la femme la plus moderne du 19e siècle que l’on rend hommage, celle qui a inspiré les très nombreux artistes qui ont exploré l’art de l’autoportrait et de l’autofiction.
"La plus belle créature qui ait existé depuis le commencement du monde." Virginia Oldoïni, comtesse de Castiglione, parlant d’elle-même
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Pierre-Louis Pierson, Un dimanche, vers 1865, épreuve sur papier albuminé, Musée d'Orsay, Paris