Un immeuble qui a tout capté ?

Où l’on apprend que les chiffres ne disent pas tout.

La ville de Skellefteå, Suède. Photo : Av Mr Thinktank

Notre histoire commence en 2015, à Skellefteå, en Suède. Dans cette ville située à moins de 300 km du cercle polaire, l’économie fait grise mine et les jeunes quittent la région. Alors, pour redevenir attractive, la municipalité décide de jouer la carte de la transition écologique. Et pour symboliser cet engagement, Skellefteå se lance un défi inédit : construire un immeuble en bois de 20 étages pour abriter son centre culturel. En effet, à cette époque, aucun bâtiment en bois n'atteint une telle hauteur.

Matériau de construction traditionnel en Suède, le bois a été en grande partie remplacé par le béton au 20e siècle. Hélas, qui dit béton dit ciment… Ultra polluant, ce dernier rejette près d’une tonne de CO₂ pour une tonne produite. Et le bois, son impact est-il meilleur ? S’il provient de forêts éco-gérées, oui.

Sara Cultural Center, Skellefteå. Photo : DR

Pour produire du bois, un arbre capte du carbone qu’il conserve tant qu’il n’est pas détruit ou brûlé. Ce stock de carbone est ensuite préservé dans le bois de construction du bâtiment. Et si l'arbre coupé en forêt est remplacé par un nouvel arbre, l'empreinte carbone de l'opération peut même devenir favorable pour le climat !

Intérieur du Sara Cultural Center, Skellefteå. Photo: Visit Skellefteå, DR

Dans le cas du centre culturel de Skellefteå, les émissions totales liées à la fabrication des matériaux, à leur transport, à la construction ainsi qu'au fonctionnement du bâtiment sont estimées à 5 600 tonnes d'équivalent CO₂ sur 50 ans.

Sur la même période, ces émissions sont compensées par les 9 095 tonnes captées par les arbres plantés en remplacement des arbres abattus, auxquelles s'ajoutent 1 095 tonnes d'émissions évitées grâce à l'électricité renouvelable produite par les panneaux solaires de la tour. Ainsi, quand l'immeuble aura 50 ans, son bilan carbone sera positif : + 4 500 tonnes. Et ce bâtiment devrait avoir une longue vie : au moins 100 ans !

Balance carbone du Sara Cultural Center exprimée en équivalent dioxyde de carbone(eq CO₂)

Alors, le bilan environnemental est positif ? Seulement si l'on ne s'intéresse qu'à la question du carbone ! Certes, le bois est récolté à moins de 120 km, comme le souligne fièrement la municipalité, mais la gestion des forêts suédoises soulève certaines interrogations.

Depuis les années 1950, la Suède pratique en effet une sylviculture intensive, caractérisée par de grandes plantations de résineux en monoculture. Ces exploitations très rentables fournissent l'essentiel du bois de construction suédois, mais laissent peu de place à la biodiversité.

En plus, lorsque les arbres d'une parcelle atteignent la taille attendue, généralement avant l'âge de 60 ans, ils sont tous coupés en même temps. C'est le principe calamiteux de la coupe rase, derrière laquelle il ne reste plus grand-chose de vivant. Ces coupes rases menaceraient aujourd'hui près de 400 espèces en Suède. La tour en bois suédoise s'attaque donc de façon positive au CO₂, mais aussi de façon négative à la biodiversité. Pour l'environnement, on doit pouvoir faire mieux !

Coupe rase d'une parcelle dans la région de Göteborg, en Suède. Photo : Averater 2013, CC BY-SA 3.0

Pour en savoir plus

Comme le montre l'exemple de la tour en bois de Skellefteå, il suffit de laisser de côté un aspect d'un projet lors de son analyse pour présenter une destruction d'un milieu naturel comme une action hautement vertueuse.

Mettre en place de nouveaux modes de sylviculture, plus respectueux des écosystèmes, est une urgence. Pour cela, il faut commencer par considérer le milieu forestier dans toute sa complexité. France Stratégie s’est donc emparée du sujet "forêt/bois" pour l'explorer en profondeur, sans jamais prendre de raccourcis. Et à la lecture de cette analyse, le moins que l'on puisse dire, c'est que la forêt a bien plus à nous offrir qu'un matériau de construction bas carbone !