Tokyo, 1908. Kikunae Ikeda, un professeur de chimie de l’Université impériale du Japon, se pose une question primordiale : qu’est-ce qui rend son dashi si délicieux ? Les quatre saveurs reconnues – sucré, salé, acide et amer – ne suffisent pas pour décrire le goût incomparable de ce bouillon d’algues. Il doit donc exister une cinquième saveur fondamentale, responsable du plaisir intense qu’il ressent en dégustant son dashi.
Ikeda explore alors la composition chimique de son bouillon et découvre la source de cette saveur unique : l'acide glutamique. Présent dans les algues kombu, cet acide aminé se retrouve également dans de nombreux aliments appréciés pour leurs qualités gustatives : tomates mûres, champignons, parmesan, crustacés, viandes fumées, produits fermentés...
La saveur en elle-même est difficile à décrire. On la rapproche généralement d’un goût de bouillon ou de viande, qui laisse sur la langue une impression durable de douceur.
Car c’est bien en interagissant avec des récepteurs de notre langue, que l’acide glutamique révèle son superpouvoir : il modifie la perception que nous avons des aliments. Lorsqu’on l’ajoute à un plat, celui-ci semble aussitôt mieux équilibré, avec une saveur plus ronde et plus profonde à la fois.
Repas japonais composé de plats riches en cinquième saveur (umami) : soja fermenté (en haut à gauche), algues kombu (en haut à droite) et soupe miso (en bas à droite)
Auguste Escoffier (premier plan à gauche)
Bien sûr, l’humanité n’a pas attendu qu’un chimiste identifie cet acide aminé pour se régaler : sous l’Antiquité, par exemple, les Romains assaisonnaient leurs plats de garum, une sauce de poisson fermenté riche en glutamate.
C’est aussi cette "cinquième saveur" qui a aidé le chef Auguste Escoffier, à la fin du 19e siècle, à connaître le succès et révolutionner la cuisine française : en laissant mijoter longuement ses célèbres fonds de veau, qui constituaient la base de beaucoup de ses recettes, il concentrait le glutamate !
Mais revenons à Kikunae Ikeda. Après avoir identifié le composé chimique qui rendait son bouillon d’algues si fameux, il s’empressa de partager sa découverte. Et comme ce scientifique avait également un don pour la communication, il décida d’appeler cette cinquième saveur "umami", ce qui, traduit en français, signifie littéralement "goût délicieux"…